EXPRESSION DE L’HYPOTHÈSE,
OU SUPPOSITION, EN MARQUISIEN
I - Dans la plupart des langues européennes, il existe trois niveaux de supposition ; en voici des exemples en français, langue dans laquelle la conjonction de subordination « SI » précède la condition :
1) – LA SIMPLE ÉVENTUALITÉ (ou notion de simple probabilité) : la simple réalisation d’une action future est assujettie à une condition présente ; le futur dépend du présent :
*- SI + présent >>> futur simple : Si tu m’invites, je viendrai.
2) – LA SIMPLE POSSIBILITÉ (ou notion de potentialité, d’incertitude) : la réalisation d’une action future est assujettie à une condition incertaine :
*- SI + imparfait >>> conditionnel présent : Si tu m’invitais, je viendrais.
3) – L’IRRÉEL (notion d’impossibilité) : l’action ne s’est pas réalisée car les conditions n’étaient pas réunies :
*- SI + plus-que-parfait >>> conditionnel passé (1ère forme) : Si tu m’avais invité, je serais venu.
II – Les outils employés pour exprimer la supposition en marquisien
A) – La particule ME
Elle exprime une idée de concomitance, de jonction, de fusion de deux éléments, et s’emploie avec deux significations issues de ces notions :
1) – ME = AVEC (préposition)
*- U tihe mai Roti me ta īa moî. / Roti est venue avec sa fille.
2) – ME = ET (conjonction)
*- He haè hou me te kaùoo. / Une maison neuve et grande.
3) – ME = COMME (conjonction)
*- Ua kata te māhaì me he kōea. / Le garçon a ri comme un fou.
B) – La particule IA
Elle se place devant un mot-base en lui transmettant deux notions :
1) – Le vœu ou le souhait :
*- Ia meitaì òe i tēnei â !
*- (Formule) Que tu te portes bien aujourd’hui ! Porte-toi bien !
2) – Le repérage temporel d’un autre évènement :
*- Ia topa te pō, a pata i te àma !
*- Quand la nuit tombera, allume la lumière !
III – LES NIVEAUX DE CONDITION EN MARQUISIEN
Comme les mots-bases employés en qualité de verbes ne connaissent pas de conjugaison (ou flexion), il n’existe que deux niveaux de supposition/condition.
A) – LA SIMPLE ÉVENTUALITÉ qui s’exprime de trois façons :
1) – Avec IA :
*- Ia tihe mai òe oìoì, e hee tāua i te ika hī.
*- Si tu viens demain, nous irons à la pêche.
2) – Avec ME :
*- Me pakaihi te tau tama i te motuakui, e meitaì ai te pohuèìa.
*- Si les enfants obéissent à leurs parents, la vie sera meilleure.
3) – Avec ME développé en ME HE MEA
*- Me he mea e tevee te àkiona, e hee au ma he poti.
*- Si l’avion est en retard, j’irai en bateau.
B) – L’IRRÉEL s’exprime avec la conjonction ANOA ; le verbe qui suit est au passé mais la particule du révolu ua/u est remplacée par i :
1) – Conséquences passées
a) – Forme affirmative (FA) + FA :
* – Anoa òe i tihe mai i te koìka, ua hee au.
*- Si tu étais venu à la fête, je serais parti.
b) – FA + forme négative (FN) :
*- Anoa òe i tihe mai i te koìka, aòè/aê au i noho i èià.
*- Si tu étais venu à la fête, je n’y serais pas resté.
c) – FN + FA :
*- Anoa aòè/aê òe i tihe mai i te koìka, ua hano atu au ia òe.
*- Si tu n’étais pas venu à la fête, je serais allé te chercher.
d) – FN + FN
* - Anoa aòè/aê òe i tihe mai i te koìka, aòè/aè au i noho i èià.
*- Si tu n’étais pas venu à la fête, je n’y serais pas resté.
2) – Conséquences présentes
a) – FA + FA :
*- Anoa òe i hakaòko mai, e meitaì aè to òe pohuèìa.
*- Si tu m’avais écouté, tu vivrais mieux.
b) – FA + FN :
*- Anoa òe i hakaòko mai, aòè/aê òe inei.
*- Si tu m’avais écouté, tu ne serais pas ici.
c) – FN + FA :
*- Anoa aòè/aê òe i hakaòko mai, e meitaì aè to òe pohuèìa.
*- Si tu ne m’avais pas écouté, tu vivrais mieux.
d) – FN + FN :
*- Anoa aòè/aê òe i hakaòko mai, aòè/aê e toe ta òe moni.
*- Si tu ne m’avais pas écouté, tu n’aurais plus d’argent.
Remarques
1) – De nos jours, principalement dans les textes de l’Église catholique, anoa remplace fréquemment et improprement me he mea ; son usage s’est élargi de l’irréel à la simple éventualité :
*- « Anoa e hukaka te ènana toitoi, e hua i te hana pē, e mate nui hoì mēìa i to īa ìno nui. Anoa e hāìu te ènana mikeo i to īa koekoe no te hua i te meitaì, e pohuè īa. »
*- « Si le juste s’égare sur le chemin du mal, il mourra à cause de ses abominations. Si le pécheur se détourne de ses fautes et revient sur le droit chemin, il vivra. » (Ézéchiel, 18. 27)
2) - En raison de la longueur du sujet, il n’est pas toujours possible de suivre la séquence expliquée en B) - ; il faut alors l’adapter comme dans le cas suivant :
*- « Anoa e koàka i te tau keâ o tēnei paepae te tekao, e peàu mai âtou i te nuiìa o te haakakai i ùka o te poì kākiu. » (Zewen, Op. Cit. p. 126)
*- « Si les pierres de ce paepae pouvaient parler, elles nous raconteraient les nombreuses légendes des anciens. »
IV – L’INTERROGATION INDIRECTE
En français, lorsqu’une interrogation indirecte fermée est introduite par la conjonction « SI », on emploie la locution « E AHA » pour la traduire :
*- Aê au i ìte e aha e tihe mai Moe. / Je ne sais pas si Moe viendra.
V – L’INFLUENCE DE LA LANGUE TAHITIENNE
1) – De nombreux Marquisiens emploient fréquemment les conjonctions tahitiennes « mai te mea e », « mai te peu e » qu’il faut désormais remplacer par « me he mea ».
2) – Il en est de même pour les conjonctions tahitiennes « ahani/hani » et « ahiri » qu’il faut remplacer par « anoa ».
BIBLIOGRAPHIE
*- Zewen, Père François, « Introduction à la langue des îles Marquises – Le Parler de Nukuhiva – Hamani ha’avivini ‘i te ‘eo ‘enana », Haere Pō, Tahiti, 1987, 2014, 2016.
© Te Haè tuhuka èo ènana - Académie marquisienne – Pohe/mars 2021
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