vendredi, 05 février 2021 05:32

Historique illustré de l’évolution de la graphie de la langue marquisienne depuis 1595 (MAJ : 15/10/2022)

HISTORIQUE ILLUSTRÉ DE L’ÉVOLUTION DE LA GRAPHIE DE LA LANGUE MARQUISIENNE DEPUIS 1595

 

L’année 2020 a été marquée par le 20ème anniversaire de l’Académie marquisienne, te Haè tuhuka èo ènana/te Faè Tuhuna èo ènata, donnant ainsi l’occasion à l’institution de valoriser le travail effectué au long de cette période.

Le choix de sa graphie, en particulier, interpelle bon nombre de lecteurs et rédacteurs.

Consciente du désir d’information sur le sujet, l’Académie marquisienne a publié sur son site un long document explicatif consultable en cliquant sur ce lien.

Cet article n’a qu’un but : faire état de l’évolution de la graphie de la langue marquisienne au fil des siècles afin d’expliquer au public le choix radical, et parfois contesté, opéré officiellement par l’Académie marquisienne le 15 octobre 2001.


I - LES PIONNIERS


A) – Les Espagnols

En juillet 1595, en route vers les îles Salomon, les trois vaisseaux espagnols commandés par Álvaro de Mendaña y Neira font une escale de deux semaines dans les trois îles du groupe sud-est de l’archipel. Ils les nomment « Las Islas Marquesas de Mendoza », « Les îles Marquises », en l’honneur de la marquise de Cañete, épouse de don García Hurtado de Mendoza, quatrième marquis de Cañete et vice-roi du Pérou, d’où était partie l’expédition.

Dans son journal, Pedro Fernández de Quirós, chef-pilote de l’expédition, note les premiers mots adressés par les Marquisiens au monde extérieur : « Atalut ou analut », la vraisemblable exhortation des gens de Fatu Iva à toucher terre, « A tau i uta ! » ou « A tae i uta ! » (note 1).

  Remarques sur la graphie :

   *- En langue espagnole, le son « ou » s’écrivant avec la lettre « u », c’est donc tout naturellement que Quirós retranscrit le son marquisien « ou » de « uta » par un « u ».

*- Comme l’avant-dernière syllabe est naturellement longue en marquisien, la dernière syllabe est parfois inaudible, surtout quand elle se trouve en fin de phrase, comme c’est le cas ici avec le « a » de « uta ». C’est probablement la raison pour laquelle, ne l’ayant pas entendu, Quirós n’a pas retranscrit le son « a ».

B) – Les Anglais

En 1774, au cours de l’escale du Capitaine Cook à Tahuata sur le navire Resolution, William Anderson (77 mots) et Johann Reinhold Forster (36 mots) collectent tous deux de courtes listes de mots entendus sur place. Les « Manuscrits Lanyon 16-17-18 » renferment trois listes de mots supplémentaires relevés au cours de l’escale.

Malheureusement, ces listes manuscrites mentionnées par les spécialistes dans leurs publications, ne sont pas accessibles au grand public et l’on ne peut vérifier ici comment les Anglais ont retranscrit les mots entendus à Tahuata (note 2).

C – Les Français

En juin 1791, le capitaine Étienne Marchand, commandant le Solide fait escale dans les îles du groupe sud-est puis croit découvrir les îles du nord-ouest qu’il nomme « Îles de la Révolution ». Tous comme James Cook et ses officiers, Marchand et ses hommes relèvent quelques mots entendus. Voici un tableau comparant la graphie des chiffres/nombres relevés à Tahuata par un Anglais (James Cook, Resolution) en 1774 et un Français (Étienne Marchand, Le Solide) en 1791 (note 3).

James Cook

(Anglais)

Étienne Marchand

(Français)

Marquisien moderne

Français moderne

Atta’haee

A’ooa

A’toroo

A’faa

A’eema

A’ono

A’wheetoo

A’waoo

A’eeva

‘Wannahoo

A-Tahi

Houah

Tohou

Fâh

Hima

Hono

Fittou

Vahou

Hiva

Onohohou

E tahi

E ùa

E toù

E hā

E ìma

E ono

E hitu/fitu

E vaù

E iva

Ònohuu

Un

Deux

Trois

Quatre

Cinq

Six

Sept

Huit

Neuf

Dix

Remarques sur la graphie :

*- Pour les relevés anglais, on constate l’apparition de l’apostrophe qui prendra par la suite, et bien plus tard, une signification toute particulière (note 11). On comprend que si les anglophones parviennent à s’y retrouver dans cette graphie, les difficultés de compréhension rencontrées par les francophones y sont souvent insurmontables sans l’aide de linguistes spécialisés.

*- Concernant les relevés fait par Marchand, on constate que, typiquement, les Français ajoutent un « h » aspiré un peu partout alors que ce son est quasiment absent de leur langue. Ils en entendent une telle quantité en marquisien qu’ils ont probablement peur d’en oublier…

*- De surcroit, l’impression de mots étrangers se heurte à des problèmes de typographie. Les caractères d’imprimerie étaient en métal gravé et coutaient cher à réaliser.

En français, on ne disposait que des accents graves et aigus, du tréma et de l’apostrophe. En anglais, en dehors de l’apostrophe, la langue est dépourvue de signes diacritiques ; tout écrit en langue étrangère aurait donc couté plus cher qu’un ouvrage typographié en anglais.

*- Néanmoins, la plupart des imprimeries européennes dignes de ce nom possédaient les caractères latins et grecs comportant d’autres signes. En latin, on trouvait celui appliqué sur les voyelles brèves (ă, ĕ, ĭ…) et les voyelles longues surmontées d’un macron (ā, ē, ī…). Ces deux signes seront utilisés au fil du temps ; le macron a survécu jusqu’à notre époque.

*- En conséquence, afin d’éviter d’alourdir le cout d’impression d’ouvrages traitant de langues étrangères, on se bornait à utiliser les caractères d’imprimerie disponibles dans sa propre langue, en latin et en grec.

 

II - LES PRÉCURSEURS


A) - Les premiers missionnaires protestants anglais de la L.M.S.
(London Missionary Society)


Ilsarrivent aux îles Marquises le 5 juin 1797. En l’occurrence, il s’agit de l’île de Tahuata où le pasteur William Pascoe Crook séjourne seul pendant un an avant de rejoindre Nuku Hiva qu’il quitte au début du mois de janvier 1799.

Au cours de son voyage vers la Grande Bretagne, et à son retour, il entreprend de rédiger la première ébauche d’un dictionnaire et d’une grammaire du marquisien : « An Essay Toward a Dictionary and Grammar of the Lesser-Australian Language, According to the Dialect Used at the Marquesas (1799) » ; il est composé à partir des données brutes de Crook rassemblées entre 1797 et la fin de 1798, et publiées en collaboration avec Samuel Greatheed et le Marquisien Timautete (note 4) à Newport Pagnell en Angleterre en 1799.

On peut voir ci-après un extrait de ce manuscrit et sa transcription (note 5).

crook

(Avec la permission gracieuse des éditions Haere Pō de Tahiti)

áma   la noix de bancoul, le bancoulier, une torche

ámo   porter

ànána   (voir ànáta)

ànánu   distinct, non mélangé

ànáta   un homme ou une personne

ànáta modúa, un homme, par opposition à un garçon.

ànátu   – laver l’étoffe

ánna travailler, le travail, une grotte

ánnaánna   léger, peu lourd.

áne   ciel, verre

ànéïhho   simplement, entièrement.

Yori nei ànéïhho, je souhaite continuer ici, comme cela.

móe anéihho, laisse le/ça tel quel.

máia ti anéïhho, pareil à de l’eau salée.

ánnehháia   quand (en référence au passé) voir iháia.

annu   froid

annuànúa   un arc-en-ciel

áo s’en aller – aussi : bas, en dessous

wáo te vakka, la pirogue ou le navire est parti. eáo oa – très bas.

áou   nuage, jour, pas la nuit.

aoú répondre,faire répéter. Holloa !

wà aou ou, j’ai répondu.

Remarques sur la graphie :

Sur ce manuscrit, on peut remarquer la présence de trois signes diacritiques apposés sur les voyelles : l’accent aigu (é), l’accent grave (à) et le tréma (ï).

 

B) – Entre 1799 et 1806, l’écumeur de grève/beachcomber anglais Edward Robarts visite les six îles Marquises habitées


Il réside pendant cinq années sur Nuku Hiva. Il recueille son lot personnel de données sur la langue marquisienne. Le manuscrit renfermant le récit de son séjour de sept années ainsi que du matériau langagier incluant son précieux « Vocabulary of the Marquesas Language », daté du 3 mai 1823, ne fut publié par Greg Dening qu’en 1974 (note 6).

Depuis 2018, la traduction du « Journal Marquisien » d’Edward Robarts est disponible aux éditions Haere Pō de Tahiti ; l’ouvrage contient une étude linguistique approfondie du vocabulaire recueilli par Robarts (note 7). En voici le début suivi d’un tableau explicatif :

robarts

(Avec la permission gracieuse des éditions Haere Pō de Tahiti)

The invisible God

(Le Dieu invisible)

Soul

(Âme)

Life

(Vie)

Demon or Ghost

(Démon ou Fantôme)

Mankind

(Humanité)

Heaven or Sky

(Cieux ou ciel)

Light (Lumière)

Meteor or falling star (Météore ou étoile filante)

SunShine (Lumière solaire)

Moonlight (Clair de lune)

Tha Ea’tu’a. neu a

(Te Etua nui)

Eo’phar nay

(E ùhane)

Ma nar va

(Menava)

E viene hoie

(E vehine hae)

Matie en na

(Mataèinaa)

E aghy ou De aghy

E àki, te àki)

Ta haca ha ca

(Tāhakahaka)

Fettoe topar

(Fetū topa)

E’ata O mah tee

Ē ata òumati)

Bo, ma hee na

(Pō māhina)

Winter

(Hiver)

Autumn

(Automne)

Earth

(La Terre)

Earthquake (Tremblement de terre)

Continent, Land

(Continent, Pays)

Island

(Île)

Promontary

(Promontoire)

Face of the earth

(Surface terrestre)

Mountain

(Montagne)

Hill

(Colline)

Ma’tah, eye ke

(Mataìki)

Co mu ey

(Kamaìi)

Ebbo

(Èpo)

Phin new, E u

(Fenua e ùu)

Phin new o a, o a,

(Fenua òaòa)

Ea mo tu

(E motu)

Ea. O pat ah

(E opata)

Tee hoo, a phin new

(Te hooafenua)

Moun ah

(Mouna)

Tu a heive

(Tuaivi)

Remarques sur la graphie :

Celle appliquée par Robarts diffère de celle de Crook.

Alors que les accents et le tréma ont disparu, on retrouve l’apostrophe aperçue dans les relevés de Cook.

 

C) - Au cours de la première moitié du XIXème siècle, différents voyageurs font escale aux Marquises


Ils compilent de courtes listes de mots qui apparaissent par la suite à la publication de leurs récits de voyage. Parmi eux, se trouvent G. H. von Langsdorff, membre de l’expédition impériale russe de 1803-1807 dirigée par A. J. von Krusenstern (1813) ; David Porter, capitaine de la frégate américaine Essex en 1812-1814 (1815) ; C. S. Stewart, aumônier à bord du navire américain Vincennes en 1829-1830 (1831), et même Herman Melville qui, dans son roman très populaire Typee/Taipi (1846), introduit de nombreux mots du marquisien du nord-ouest.

 

III- Les missionnaires catholiques français


Les missionnaires catholiques français de la congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie (S.S.C.C.) sont basés à Hawaii depuis 1827 ; ils sont chargés d’évangéliser les îles du Pacifique oriental sous la direction d’un évêque, vicaire apostolique. Après s’être implantés aux îles Gambier vers 1835, ils font une tentative pour s’installer à Tahiti d’où ils sont chassés par les missionnaires protestants anglais menés par le Pasteur Pritchard. Afin de contrer l’influence protestante anglaise dans la région, ils se dirigent vers les Marquises et arrivent à Tahuata en août 1838 puis à Nuku Hiva en janvier 1839 où ils sont accompagnés de leur évêque, Mgr Rouchouze.

A) - Le Père Mathias Gracia fait partie du groupe


Dès son arrivée, il note ses impressions de séjour et décrit la langue marquisienne qu’il apprend. Voici la page 191 de son recueil de lettres (note 8) :

 gracia                             

Remarques sur la graphie :

La graphie du marquisien utilisée par le Père Gracia est très simple, sans aucun signe diacritique (accents ou autres signes) ; elle anticipe la graphie qui inspirera Mgr Dordillon puis Turo Raapoto (voir III-, D-) et, enfin, l’Académie marquisienne.

 

B) - À la même période, le Père Boniface Mosblech fait, lui aussi, partie de la Mission française basée à Hawaii.


En utilisant les données qu’il a collectées sur place et les notes du Père Mathias Gracia, il publie en 1843 un « Vocabulaire Océanien-Français et Français-Océanien des dialectes parlés aux îles Sandwich, Marquises et Gambier » dont la page de couverture et la première page figurent ci-dessous :

mosblech 1

mosblech 2

Remarques sur la graphie :

Aucun signe diacritique n’est présent dans aucune des trois langues présentées. (m/marquisien du nord, ms/marquisien du sud, s/sandwichien/hawaiien)

 

C) - Suite à la disparition accidentelle de Mgr Rouchouze en 1843,


le Père François de Paule Baudichon est nommé Vicaire apostolique par le Pape pour le remplacer. En mai 1845, il se rend à Valparaiso au Chili afin d’y être ordonné évêque en décembre. Il profite de son long séjour pour y faire imprimer le premier abécédaire-catéchisme marquisien dont voici les premières pages (note 10) :

1845 1

1845 2                      

Pour la 1ère fois dans l’écriture de la langue marquisienne par des Français, on voit apparaître l’occlusive glottale ; en l’occurrence, elle se manifeste par un accent aigu sur les voyelles de la 3ème ligne de l’image de droite : á, é, í, ó, ú (note 11).


D) - Monseigneur Ildefonse René Dordillon (1808-1888)


1) – Les ouvrages originaux

Il arrive aux Marquises en 1845 où il est nommé évêque en 1856. C’est à Nuku Hiva qu’il passe la plus grande partie de ses 43 années de mission dans l’archipel.

Entre octobre 1856 et juin 1857, il séjourne à Valparaiso au Chili où il est ordonné évêque le 8 février. Il consacre aussi son temps à faire publier trois ouvrages majeurs. Le premier est en français et s’intitule « Essai de la Grammaire de la langue des îles Marquises par un prêtre de la Société de Picpus ». Les deux autres sont en langue marquisienne ; ce sont un livre de cantiques et la vie de Jésus-Christ.

Voici une photo de la couverture de son « Essai… » suivi de deux extraits de l’ouvrage traitant de ce que Mgr Dordillon nomme « accent » : l’occlusive glottale (note 12).

dord 1

dordi 2

dordi 3

Remarques sur la graphie :

Ci-dessus, Mgr Dordillon écrit qu’il n’y a qu’un « accent » en marquisien. Comme on peut le constater sur les illustrations, pour la rédaction des mots marquisiens, il a choisi une graphie simplifiée caractérisée par les voyelles glottalisées marquées d’un accent aigu. On constate aussi qu’il emploie le « tilde/ñ » pour écrire le son « ng » caractéristique de la langue ancestrale Taipi de Nuku Hiva ainsi que de nombreuses autres langues polynésiennes. Si le « tilde/ñ » s’emploie en espagnol pour marquer le son « gna, gne, gni… », il exprime ici une nasalisation de la consonne assez proche de la prononciation de la terminaison « -ing » en anglais.

 

Par la suite, Mgr Dordillon est rejoint par le Père Géraud Pierre Chaulet (1830-1912) qui demeure aux Marquises jusqu’à sa mort à Nuku Hiva. Pendant de nombreuses années, ils amassent ensemble le matériau linguistique qui donnera naissance à la grammaire et au dictionnaire les plus denses jamais publiés traitant de la langue des deux groupes d’îles.

De surcroit, plusieurs autres missionnaires apportent une importante contribution à cette compilation historique, parmi lesquels le Père Orens Fréchou. En 1844-1846, lors de son séjour à Ua Pou aux îles Marquises du nord-ouest, il rédige le « Dictionnaire kanak-français pour les îles Marquises, dialecte de l’île Uapu » qu’il complète par la suite à Tahuata dans les Marquises du sud-est (note 13).

Ce sont ces trois volumes, attribués à Mgr Dordillon après sa mort, qui, bien que basés sur des modèles linguistiques du XIXème siècle, restent encore en ce début de XXIème siècle, la référence ultime en matière de lexicographie et de grammaire marquisiennes (note 14).

De nombreux dictionnaires manuscrits de Mgr Dordillon sont entreposés à Rome dans les archives de la Congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie ; leur état actuel n’en permet pas la consultation.


REMARQUE : Les successeurs de Mgr Dordillon : Mgr Martin et Mgr Le Cadre

À son arrivée à Nuku Hiva en 1889, après le décès de son prédécesseur, Mgr Martin trouve sur place une population d’environ 1000 habitants presque tous baptisés. Il décide alors de s’installer à Atuona sur Hiva Oa où la population est trois fois supérieure et peu convertie.

Ce déplacement aura des conséquences sur la graphie de la langue marquisienne pour les textes de l’Église qui seront désormais rédigés dans la langue de Hiva Oa. La plupart de ces écrits sont toujours en usage aujourd’hui d’autant que les évêques suivants (Mgr Tirilly, Mgr Le Cléac’h et Mgr Chevalier) ont continué à favoriser la graphie du sud en dépit de la création du diocèse des îles Marquises (Te Fenuaènata) en 1966 et son siège à Taiohae.


2) – Les rééditions

La première réédition de la « Grammaire et dictionnaire de la langue des îles Marquises » est réalisée à Paris en 1904 par l’imprimerie Belin Frères.

En 1931, l’Institut d’Ethnologie de Paris en publie une édition « Marquisien-Français » suivie d’une édition « Français-Marquisien » en 1932.

Épuisées en librairie depuis fort longtemps, ces éditions réapparaissent sur le marché grâce à la Société des Études Océaniennes qui en publie une première version « fac-simile » en 1999, suivie d’une réédition en 2007.

dordi 4 
dordi 5

Remarques sur la graphie :

1) – La première illustration est extraite de la version 1904, page 233, rééditée en 1999 et 2007 ; pour les mots « pŏtu », « pŏtupŏtu » et « pŏvĕvŏ », on constate la présence du signe diacritique [˘] (ou « brève ») indiquant une voyelle brève comme parfois en latin. Ce qui est curieux, c’est qu’en l’occurrence, il est appliqué sur des voyelles longues.

2) – La deuxième illustration est extraite de l’édition 1931. On peut y constater la présence d’un seul signe diacritique : l’accent aigu appliqué sur les voyelles, avec valeur d’occlusive glottale. Les mots concernés par la « brève » dans l’édition au-dessus ne la présentent pas dans cette version-ci.

       

IV - 1852 : UN DOCUMENT BILINGUE RARE


C’est le manuscrit bilingue, français-marquisien, daté du 10 septembre 1852, dans lequel le chef Temoana signe sa reddition et abandonne toutes ses terres au Commandant particulier Salomon Bolle qui l’envoie ensuite en captivité à Tahiti avec Vaekehu, son épouse.

bolle reddition cadre

reddition temoana bolle cadre

Transcription de Jacques Iakopo Pelleau

Remarques sur le document :

1) - Il atteste de la présence d’un interprète non-marquisien compétent aux côtés du Commandant particulier.

2) - La graphie des noms marquisiens et plus correcte que celle du texte français. Il y a donc eu deux rédacteurs.

Remarques sur la graphie :

1) - À cette époque-là, le Père Dordillon portait le titre de « Provincial » ; c’est à lui qu’il est fait référence dans le texte français « Le Père supérieur », et en marquisien « Te mitinane ia ia te vivini tahiipiò mitinane ». Bien que sa première grammaire n’ait été publiée qu’en 1857, ses travaux de recherche sur la langue avaient commencé dès son arrivée aux Marquises en 1847 ; son influence sur la graphie du marquisien transparaît dans ce texte officiel.

2) - On remarque la présence d’une glottale, quasi verticale, appliquée sur un certain nombre de mots : ò te, hakaìki, te à (â), mataeinaà, haè, tahipiò (tahipito).

3) - On constate l’absence d’espace entre deux voyelles, matérialisée par une apostrophe marquant la glottale.

4) - On constate aussi des différences de graphie : hakatika, Seteme (septembre), Komanda (Komanā).


5) - Au début du 2° du texte marquisien, apparaît le mot « Iarau » dont Mgr Dordillon donne la traduction de « tout, partout » dans son dictionnaire, édition 1931, page 185, aux côtés de ses synonymes « iarahi, iarai, iarii », peut-être importés du tahitien.

 
On peut consulter l'histoire de ce document en cliquant sur ce lien.

 

V – LA LINGUISTIQUE MODERNE ET SES APPLICATIONS… OU PAS


A) – Avant la Deuxième Guerre Mondiale


Depuis l’Antiquité, l’étude des langues a toujours passionné des hommes soucieux d’aller au-delà des mots qu’ils écrivaient ou entendaient. Il en est de même avec la zone Pacifique largement visitée à partir de la deuxième moitié du XVIIIème siècle.

Très vite, afin de coucher ces langues sur le papier, ces passionnés se sont heurtés à des difficultés techniques : certains sons qu’ils entendaient n’avaient pas d’équivalents graphiques dans leur langue. Comme signalé plus haut, faute de disposer de caractères d’imprimerie adéquats, ils ont utilisé ceux dont ils disposaient, parvenant parfois à une multiplication des signes, parfois à une sur-simplification excessive (note 15).

Tout au long du XIXème siècle, les textes religieux sont apparus dans les différents langues du Pacifique. Avec le temps, les questions se sont posées quant à la représentation des voyelles longues et de l’occlusive glottale, deux des caractéristiques majeures de ces langues. Il faudra attendre la fin de la Deuxième Guerre Mondiale pour voir l’occlusive glottale reconnue en hawaiien comme consonne par les linguistes Judd, Pukui et Stokes qui l’incluent alors dans l’alphabet (note 16-1).


1) – Karl von den Steinen (1855-1929)


Le célèbre médecin, explorateur, philologue et ethnologue allemand est aux Marquises du 24 août 1897 au 22 février 1898. Il est chargé par le Musée de Berlin de collecter les vestiges de la culture matérielle et immatérielle des îles Marquises.

Outre la trilogie célèbre « Les Marquisiens et leur Art », Karl von den Steinen a publié des ouvrages relatant les légendes marquisiennes recopiées de sa main, écrit-il, « sans comprendre » (note 16-2).

En 2014, les éditions Haere Pō de Tahiti publient « Kena, la légende du tatouage marquisien », un ouvrage émouvant comportant la photocopie du journal de terrain du scientifique, suivi d’une transcription intégrale faisant face à une transcription conforme aux règles de la linguistique des langues polynésiennes. La dernière partie renferme la traduction française de la légende.

Voici un extrait de la légende de Kena tiré du manuscrit de Karl von den Steinen :

kvds 1

(Avec la permission gracieuse des éditions Haere Pō de Tahiti)

Remarques sur la graphie :  Aucun signe diacritique

 

2) – L’expédition Bayard Dominick (1920-1921)


Elle est financée par l’Université Yale de New York et organisée par le Bishop Museum de Hawaii. Entre juillet 1920 et mars 1921, quatre groupes de scientifiques travaillent aux îles Hawaii, Tonga, Australes et Marquises ; pour ces dernières, l’équipe est composée des ethnologues Edward Smith Craighill Handy (Harvard University) accompagné de son épouse bénévole Willodean Chatterson Handy, de l’ethnologue Ralph Linton (University of Pennsylvania) ainsi que du botaniste Forrest B. H. Brown (Yale University) et de son épouse, assistante volontaire.

Tous les aspects matériels et immatériels de la culture marquisienne sont explorés, sur le terrain et auprès des Marquisiens et, dans les années suivant leur expédition, chacun de ces scientifiques fera des publications d’une immense richesse pour la connaissance de l’ancienne culture marquisienne.

En 1930, le Bishop Museum de Hawaii publie « Marquesan Legends », un recueil de dix légendes complètes relevées sur le terrain par E.S.C. Handy, suivies du résumé de vingt-quatre autres légendes.

Voici un extrait du début de la première légende flanquée de sa traduction anglaise :

handy

Remarques sur la graphie : absence totale de signes diacritiques.

 

3) – Textes civils officiels


À ce jour, il n’existerait qu’un seul texte civil en langue marquisienne publié au Journal Officiel de la République française le 25 septembre 1902 : c’est le décret du 31 mai 1902 organisant la propriété foncière aux Marquises et dont voici le début :

decret 1902

Remarques sur la graphie :

*- La préposition « i » est le plus souvent accolée à l’article « te », ce qui produit « ite » au lieu de « i te ».

*- La conjonction « e » est le plus souvent accolée à l’article « te » , ce qui produit « ete » au lie de « e te ».

*- Absence totale de signes diacritiques : aucune occlusive glottale, aucun macron.

*- La construction « …to atou ioia ei… » (Ture 2) est calquée sur la structure tahitienne « e riro ei... », ce qui vient aggraver la qualité du texte. Il aurait fallu remplacer « ei » par « e » ou « he », ce qui produirait : « tō âtou ìòìa e/he… ».

 

B) – Après la Deuxième Guerre Mondiale


En Polynésie française, l’influence de la langue tahitienne sur la langue des autres archipels, dont les Marquises, est prégnante d’autant que, les textes religieux mis à part, la pénurie de textes fondateurs en marquisien plonge les chercheurs dans l’embarras.

En 1973 à Tahiti paraît le « Lexique du tahitien » du linguiste Yves Lemaître. Voici un passage de ce qu’il écrit au paragraphe 6 de l’introduction à son ouvrage :

« […] Enfin, elle [ma notation] a l’avantage de la simplicité. Aux cinq signes du tahitien imprimé de la Bible protestante (signe de longue, signe de brève, tréma, apostrophe, virgule renversée) sont substitués deux signes seulement. Ces signes sont ceux qui ont été adoptés dans les langues polynésiennes qui possèdent les deux phonèmes correspondants (hawaiien, samoan, tongien…). Il s’agit d’un signe particulier pour l’occlusive glottale // et du macron /ˉ/ pour les voyelles longues. » (note 17).

Désormais, les bases de travail sont plus claires ; elles sont adoptées par la toute jeune académie tahitienne et seront enseignées plus tard à l’université du pays.

C) – Les années 1960 aux Marquises


Elles sont marquées, entre autres, par les travaux de collecte de tradition orale effectués par l’ethnologue français Henri Lavondès (1926-1998).

À Ua Pou, au cours des années 1963 et 1964, il arpente les vallées de « l’île aux Piliers » afin de collecter les légendes racontées par les informateurs suivants : Kehuèinui Bruneau, Marie-Joséphine Tahiahuìupoko Hapipi, Varii Teìkitaukenana Kaiha (et aussi Marie-Salomé Teìkitohe de Nuku Hiva). Il est secondé dans sa tâche par Samuel et Mafeu Teìkiehuupoko, instituteurs marquisiens qui l’accueillent et l’assistent dans la compréhension et la traduction des textes recueillis.

Les « Récits Marquisiens » seront publiés sous forme provisoire bilingue à l’ORSTOM de Papeete en 1964 et 1966. L’ensemble des travaux d’Henri Lavondès aboutira en 1973 à une thèse d’État soutenue en Sorbonne sous le titre « Terre et Mer. Pour une lecture de quelques textes polynésiens » (note 17-2).

Voici un extrait de la légende de « KAE », racontée par Kohueinui Bruneau :

lavondes 2

Remarques sur la graphie :

*- Henri Lavondès regrettait de ne pouvoir appliquer le macron faute de touche dédiée sur sa machine à écrire...

*- L’occlusive glottale prend forme d’apostrophe placée devant la voyelle concernée.

 

En 2013, « Récits Marquisiens/Récits traditionnels des îles Marquises » d’Henri Lavondès est publié aux éditions Ellug de Grenoble. Mis à part l’unique extrait suivant en langue marquisienne (en annexe de l'ouvrage, pp 209-210), les textes originaux ont disparu. On ne les retrouve donc plus que dans les éditions ORSTOM de 1964/1966.

lavondes 1

Remarques sur la graphie :

*- Ce sont les mêmes que ci-dessus exception faite de la glottale qui prend la forme d’un guillemet-virgule supérieur culbuté.

*- En fin de ligne 5, noter le mot « kite » (voir, savoir), qui est à Ua Pou la forme du mot « ìte ».

 

D) – Les années 1970 aux Marquises.

Elles sont marquées par une série de personnes et d’évènements déterminants pour le sort de la langue marquisienne.


1) – Monseigneur Hervé-Marie Le Cléac’h

Nommé Vicaire apostolique des îles Marquises en novembre 1970, il arrive à Taiohae en mars 1971 ; il est ordonné évêque du diocèse de Taiohae le 24 juin 1973.

Après une période de découverte, il apprend la langue marquisienne dont il encourage l’Église à maintenir et développer l’usage dans la liturgie et le catéchisme. Il se fixe aussi pour objectif d’éveiller la jeunesse à la connaissance et à l’estime de son histoire passée.

Aidé de nombreux locuteurs locaux, il se lance dans la traduction du Nouveau Testament et des Psaumes qui verra son terme en 1995 par la parution de « Te Pi’imau Hou – Te tau Taramo ». Le choix de la langue des îles du sud sera déterminant pour la suite des écrits de l’Église catholique aux Marquises. Concernant la graphie, on constate l’absence du macron. L’occlusive glottale, en forme de virgule placée devant la voyelle, est présente de manière irrégulière, ce qui complique la lecture et le travail des chercheurs.

En voici un exemple :

ttate 1

Remarques sur la graphie :

*- Graphie de la langue du sud : fiti, patutia, tanitina…

*- Présence de la glottale, mais pas partout où ce serait nécessaire ; peau/peàu, tiatohu/tiàtohu.

*- Absence totale du macron : himene/hīmene, tu/tū, paotu/paotū.

 

Ces années de renouveau culturel et linguistiques sont aussi marquées par l’absence de dictionnaire marquisien usuel. Épuisés depuis longtemps en librairie, les ouvrages de Mgr Dordillon ne se trouvent plus que dans les rares bibliothèques ou en possession de quelques chanceux.

En 1997, en collaboration avec la toute récente association « Èo Ènata », Mgr Le Cléac’h publie « Pona Tekao Tapapa ‘ia/Pona Te’ao Tapatina », un lexique marquisien-français, français-marquisien qui se veut « le reflet de la langue marquisienne telle qu’aujourd’hui la parlent les adultes et qu’ils la transmettent à leurs enfants. Le vocabulaire publié se veut à l’image de la mosaïque d’accents et de vocable en usage dans les vallées » (note 18). L’ouvrage attribue aussi une soixantaine de pages centrales à des généralités de la culture marquisienne.

Voici une illustration de cet ouvrage :

lexique lecleach

Remarques sur la graphie :

*- L’occlusive glottale est présente sous forme d’apostrophe mais pas partout où elle devrait être appliquée : ‘eo, ‘epa’epa mais enana/ènana.

*- Le macron est totalement absent : vavena/vāvena, matou/mātou.

*- Au lieu du macron, un accent circonflexe est appliqué sur la voyelle terminale de epô/epō.

*- La langue du sud est plus souvent présente que celle du nord : ‘enata, fenua, fa’e, mahae tia…

 

2) – 1977/1978/1979


En juillet 1977, l’État confère au Territoire de Polynésie française une autonomie de gestion interne ouvrant accès à un certains nombres de domaines dont l’éducation du premier degré. Les mêmes vexations linguistiques ayant été subies par tous les Polynésiens dans les établissements scolaires depuis la Deuxième Guerre Mondiale, le tout jeune gouvernement tahitien se trouve en situation de valoriser à nouveau les langues vernaculaires, et décide d’imposer l’usage du tahitien/re’o tahiti dans toutes les écoles.

En décembre 1978, un synode catholique se tient à Taiohae réunissant les populations de l’archipel. Lors des rencontres, on évoque le projet du gouvernement tahitien de généraliser l’enseignement du tahitien dans les établissements scolaires et la crainte d’une proche disparition du patrimoine culturel local. « Enfin les Marquisiens se réveillent » s’exclame alors Mgr Hervé Le Cléac’h.

Rapidement nait le principe de la création d’une association de bonnes volontés décidées à œuvrer pour la protection de ce patrimoine et, le 30 décembre naît l’association Motu Haka, expression choisie par Mgr Le Cléac’h signifiant « Tous Ensemble » ou bien « Communauté » ; elle est officialisée le 31 mars 1979, et obtient gain de cause en faisant remplacer le re’o tahiti par le èo ènana dans toutes les écoles de l’archipel.


D) – Les années 1980 aux Marquises



1) - Le Père François Zewen

Éminent linguiste luxembourgeois, il est titulaire de la chaire de langues austronésiennes de l’Université de Hambourg en Allemagne. Présent dans le Pacifique depuis 1968 où, depuis Port Vila au Vanuatu, il dirige le Centre des Églises du Pacifique de 1980 à mai 1983, époque à laquelle Mgr Le Cléac’h lui demande de venir à Taiohae afin de se pencher sur la linguistique de la langue marquisienne jamais approfondie.

Sur place, il étudie les différentes facettes de la langue jusqu’en mars 1987 et, la même année, en collaboration avec la commune de Nuku Hiva, le résultat de son travail est publié aux éditions Haere Pō de Tahiti sous le titre « Introduction à la langue des îles Marquises – Le Parler de Nuku Hiva – Hamani ha’avivini ‘i te ‘eo ‘enana ». L’ouvrage sera publié à nouveau, revu et corrigé en 2014 et 2016 (note 19).

Ce manuel est un ouvrage magistral, un véritable cours de langue marquisienne qui se rapproche des consignes graphiques appliquées au tahitien par Yves Lemaître en 1973.

zewen 1

Remarques sur la graphie :

*- présence sporadique de l’occlusive glottale : te pu’o’o mais tomi ia/ìa

*- présence sporadique du macron : ‘iō mais tamau/tāmau.

 

2) - Le Père Paul Daydou : les années 1990/2000/2010


Comme tous les évêques et prêtres des Marquises, il est membre de la Congrégation des Sacrés-Cœurs de Jésus et Marie. Arrivé à Tahiti en 1981, c’est en 1988 que Mgr Chevalier, remplaçant de Mgr Le Cléac’h en 1985, lui demande de se lancer dans la traduction de l’Ancien Testament. Il passe sa licence de Lettres-Re’o mā’ohi en 2009 à l’Université de la Polynésie française.

Il travaille en équipe, aidé de nombreux Marquisiens de chaque île (note 19).

En janvier 1991, l’évêché des Marquises publie la première version de « Te Tekao a te Etua » (La Parole de Dieu) ; c’est le recueil de la liturgie dominicale et des fêtes catholiques célébrée au long de trois années, A/B/C. Voici un extrait de l’ouvrage qui compte 860 pages :

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Remarques sur la graphie :

*- C’est bien la langue du sud qui est utilisée : te’ao, pepena tia, poho’e

*- Le macron est totalement absent : paotu/paotū, maama/māàma, potano/pōtano…

*- L’occlusive glottale est présente sous la forme du guillemet-apostrophe [] mais elle n’apparaît pas partout où elle le devrait : oto/òto, tiatohu/tiàtohu, enata/ènata…

 

En 2007, le Père Paul Daydou remet la totalité de son travail à Mgr Chevalier qui lui demande d’harmoniser les traductions de l’Ancien et du Nouveau testament.

Il choisit d’utiliser la langue des îles du sud et d’utiliser les règles de graphie polynésienne enseignées à l’U.P.F. concernant l’occlusive glottale. Malheureusement, des difficultés techniques et informatiques privent d’usage le précieux macron. Une nouvelle édition de « Te Tekao a te Etua » est publiée en 2007 puis rééditée en 2012. Voici la copie du même extrait :

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Remarques sur la graphie :

*- La langue du sud est toujours présente : potano, pohoè, mais teào a repris sa forme du nord, tekao ; pepenatia ne forme désormais plus qu’un seul mot comme le conseille l’Académie marquisienne.

*- Le macron est toujours totalement absent.

*- L’occlusive glottale a changé de forme en devenant simple apostrophe et son utilisation est toujours aussi instable. Parfois elle apparaît : umo’i, a’o’e ; parfois elle n’apparaît pas plus que dans la version de 1991 : oto/òto, tiatohu/tiàtohu, enata/ènata…

 

E) - Turo Raapoto (1948-2014)


Après avoir participé à la vie politique locale au début des années 1970, cet éminent linguiste tahitien, docteur en linguistique, se rapproche de l’Église Évangélique de Polynésie française où il essaie de faire vivre des principes identitaires radicaux en référence aux temps pré-chrétiens.

En 1983, il devient membre de l’Académicien tahitienne au sein de laquelle il mène une réflexion métalinguistique profonde qui le conduit à promouvoir un code orthographique qui porte son nom, et qui concurrence la norme de l’Académie tahitienne. Les principales innovations de cette graphie sont la notation de l’occlusive glottale au moyen de l’accent grave (appliqué sur la voyelle même) et l’absence de transcription de cette glottale sur des voyelles de même timbre (ainsi, on écrira faatià pour fa’ati’a dans la graphie de l’Académie) (Monod, Vernaudon, op. cit.).

Voici ce qui est écrit dans l’article « Graphie et graphies de la langue tahitienne » rédigé par l’Académie tahitienne le 06/01/2003 et publié dans la revue « Te Fenua » :

Le système graphique de Turo Raapoto : ouvrages : brochures, manuels, Veà Porotetani

*- « ¯ » : correspond à la longueur d’une voyelle. Ce signe diacritique, placé sur une voyelle, s’appelle tāumi ; exemple : tāfare = toit.

*- « ^ » : correspond à un coup de glottale combiné à la longueur d’une voyelle. Ce signe diacritique, appelé tāfare, est placé sur une voyelle ; exemple : hoê = un

*- « ` » : correspond à la glottale. Ce signe diacritique, placé sur une voyelle, est appelé tuì ; exemple : = poisson.

 

La graphie complète de l’Académie tahitienne – Fare Vāna’a – peut être consultée en cliquant sur ce lien.


F) – L’Académie marquisienne, fondée en l’an 2000


Désireuse de choisir une graphie simplifiée, inspirée de celle de Mgr Dordillon, contre l’avis des linguistes du Pacifique et d’ailleurs, l’Académie marquisienne fait le choix de celle prônée par Turo Raapoto le 15 octobre 2001.

Consciente du manque d’information sur le sujet, l’Académie marquisienne a publié courant 2020, année de son 20ème anniversaire, un certain nombre de documents explicatifs, certains à destination du grand public, certains plus approfondis. Ces publications sont disponibles sur son site et sont relayés par une page Facebook institutionnelle.

L'article est accessible en cliquant sur ce lien.

Voici un extrait de son recueil d’histoires et de légendes, (note 21) :

âkakai académie

Remarques sur la graphie :

*- La glottale est appliquée sur les voyelles sous forme d’accent grave.

*- Le macron est présent là où il faut.

*- L’accent circonflexe sur « ôute » (kōute au nord) est la marque de la glottale doublée du macron.

 

 

V - ÉPILOGUE


*- Le 16 septembre 2019, Mgr Pascal Chang Soi, évêque de Te Fenuaènata, le diocèse des îles Marquises, fait part à l’Académie de sa décision de choisir sa graphie liée pour la correspondance, la communication et la liturgie du diocèse. Les anciens textes de « Te Tekao a te Etua », rédigés conformément à l'autre graphie, resteront en l’état par commodité.

*- Le 25 février 2020, suite à une présentation officielle par l'Académie de cette même graphie au personnel de l’éducation du premier degré des Marquises, Mme Aline Heitaa-Archier, inspectrice, déclare adopter cette graphie pour tous les textes en marquisien issus de ses services…

 

NOTES


(1) Quirós, op. cit. p.51

(2) Fischer, op. cit, Introduction p. xxx et xxxi

(3) Gannier/Marchand, op. cit. p. 241

(4) Timautete était un des neveux de Tainai, chef-hakaìki des Hema de Vaitahu, par son père Pahauhonu, frère de ce dernier ; Pahauhonu avait été tué lors d’une bataille à Nuku Hiva et, en mémoire de lui, Timautete, se nommait aussi Naoinukuhiva (Perdu à Nuku Hiva). Au départ du baleinier anglais Butterworth de Tahuata en décembre 1798, le jeune Marquisien avait été embarqué et avait rejoint le Pasteur Crook à Nuku Hiva. Le 9 janvier, le Pasteur Crook quittait définitivement les Marquises sur le Butterworth accompagné du jeune Hikonaiki de Nuku Hiva qui avait travaillé sur ses terres, et de Timautete. Tout au long des quatre mois du voyage de retour en Angleterre et jusqu’à la fin de 1799, ce dernier fut le principal informateur de Crook concernant la rédaction de son ouvrage « An Essay… ». Il mourut en Angleterre le 2 décembre 1800 ; il est (peut-être) enterré à Newport Pagnell dans le Yorkshire. « An Essay ... » a été traduit en français par Jacques Iakopo Pelleau en 2020, et publié aux éditions Haere Pō de Tahiti la même année.

(5) MS Crook, op. cit. p. 15

(6) Dening, voir bibliographie ci-après.

(7) Robarts, voir bibliographie ci-après.

(8) Gracia, op. cit. p. 191

(9) Turo Raapoto : voir III-, D-

(10) V.C.I.S, op. cit. couverture et page 3. Mes remerciements vont au Père Paul Lejeune, vicaire de la paroisse de Taiohae qui m’a autorisé à prendre ces clichés en 2018.

(11) Qu’est-ce que l’occlusive glottale ? Voici la réponse de Wikipédia :

« Le coup de glotte ou consonne occlusive glottale est une consonne fricative dont la description en phonétique articulatoire est l'occlusive glottale sourde, notée [ʔ] en alphabet phonétique international, dans la transcription traditionnelle des langues sémitiques, dans l'alphabet hawaiien (signe nomméokina) et la plupart des autres langues polynésiennes. C'est parfois une apostrophe ( ‘ ) qui est employée à la place de ces deux derniers signes. » Elle est aussi représentée par le guillemet-apostrophe culbuté [], le guillemet-apostrophe [] ou le guillemet-virgule supérieur culbuté appelé aussi virgule inversée []. L’occlusive glottale est désormais considérée par les linguistes comme une lettre à part entière, trace d’une ou deux consonnes désormais disparues (ng, k, t, p, r) précédant une voyelle. C’est la raison pour laquelle, la linguistique couramment utilisée dans le Pacifique la place devant la voyelle (‘a, ‘e, ‘i, ‘o, ‘u). Elle se nomme « ‘eta » dans la graphie de l’Académie tahitienne, « tuì » dans la graphie de Turo Raapoto et « tūkinaèo » dans la graphie de l’Académie marquisienne.

(12) Dordillon 1857, op. cit. Page de couverture, pp. 111-112.

(13) Fischer, op. cit. Introduction p. xxxi

(14) Dordillon, voir bibliographie ci-après.

(15) Schütz, op. cit. p. 136

(16-1) Schütz, op. cit. p. 146

(16-2) Steinen, op. cit. p.9

(17) Lemaître, op. cit. p. 9

(18) Le Cléac’h, op. cit. Avant-propos

(18) Zewen, op. cit. Revers page de garde

(19) Nicole, op. cit. p. 323


BIBLIOGRAPHIE

 

- MS Crook, William Pascoe, « An Essay toward a Dictionary and Grammar of the Lesser-Australian language, according to the Dialect used at the Marquesas » compiled from the collections and information of William Crook, who was sent to those Islands by the Missionary Society, and resided there from 6 June 1797 to 8 January 1799 - Ref : CWML MSS 305.

- Fischer Steven R, H. G. A. Hughes, « An Essay Toward a Dictionary and Grammar of the Lesser-Australian Language, According to the Dialect Used at the Marquesas (1799) » Institute of Polynesian Languages and Literatures, 1998

- Dening, Professor Gregory, « The Marquesan Journal of Edward Robarts 1797-1824 », Pacific History Series, number 6, Canberra, 1974.

- Dordillon, Mgr Ildefonse-René, « Essai de la Grammaire de la langue des îles Marquises par un prêtre de la Société de Picpus, missionnaire aux îles Marquises », Imprimerie du Commerce, Valparaiso, 1857.

- Dordillon, Mgr Ildefonse-René, « Grammaire et dictionnaire de la langue des îles Marquises », Belin, Paris, 1904.

- Dordillon, Mgr Ildefonse-René, « Grammaire et dictionnaire de la langue des îles Marquises – Marquisien/Français », Institut d’Ethnologie, Paris, 1931.

- Dordillon, Mgr Ildefonse-René, « Grammaire et dictionnaire de la langue des îles Marquises – Français/Marquisien », Institut d’Ethnologie, Paris, 1932.

- Dordillon, Mgr Ildefonse-René, « Grammaire et dictionnaire de la langue des îles Marquises », Société des Études Océaniennes, Tahiti, 1999 et 2007.

- Église catholique des îles Marquises, « Te Pi’imau hou – Te tau Taramo / Le Nouveau Testament et les Psaumes en marquisien », Société biblique dans le Pacifique sud, Taiohae, 1995.

- Évêché des Marquises/Faè Epikopo Tefenuaenata, « Te Tekao a te Etua », Tahiti, 1991, 2007, 2012.

- Gannier Odile et Picquoin Cécile, « 1791, le Voyage du Capitaine Marchand ; les Marquises et les îles de la Révolution. Au Vent des Îles, Tahiti, 2003.

- Gracia, Père Mathias, « Lettres sur les îles Marquises, ou mémoires pour servir à l’étude religieuse, morale, politique… », Gaume frères, Paris, 1843.

- Handy, E.S. Craighill, « Marquesan Legends », Bernice P. Bishop Museum, Bulletin 69, Bayard Dominick Expedition, Publication number 18, Honolulu, Hawaii, 1930.

- Le Cléac’h, Mgr Hervé, « Pona Tekao Tapapa ‘ia », Association Èo Ènata, Tahiti, 1997.

- Lemaître, Yves, « Lexique du tahitien contemporain », I.R.D, 1973.

- Monod, Tajim et Jacques Vernaudon, « Turo Raapoto, l’indigné – 1948/2014 » ; cet article peut être consulté en cliquant sur ce lien.

- Mosblech, Abbé Boniface, « Vocabulaire océanien-français et français-océanien des dialectes parlés aux îles Marquises, Sandwich, Gambier, etc. », Renouard éditeurs, Paris, 1843.

- Nicole, Jacques, « Au Pied de l’Écriture », Histoire de la traduction de la Bible en tahitien, Haere Pō, Tahiti, 2007.

- MS Robarts, Edward,  « Memoirs of Edward Robarts, an ordinary seaman, describing his travels and adventures in the South Seas from 1797 to 1824, particularly his seven year stay on the Marquesas Islands. Identifier : Adv.MS.17.1.18 - 1824. (Creation) 171 pages. Folio. Microfilm available : Mf.Sec.MSS.222. The volume was published as « The Marquesan Journal of Edward Robarts 1797-1824 », Pacific History Series, number 6 (Canberra, 1974), edited by Professor Gregory M Dening. »

- Robarts, Edward, « Journal Marquisien, 1798-1806 », Haere Pō, Tahiti, 2018.

- Quirós, Pedro Fernández de, « Histoire de la Découverte des Régions australes », traduction et notes de Annie Baert, L’Harmattan, Paris, 2001

- Schütz, Albert J., « Voices of Eden – A history of Hawaiian language studies », University of Hawaii Press, 1995.

- Steinen, Karl von den, « Kena, la légende du tatouage marquisien », transcription et traduction de Michael J. Koch, Haere Pō, Tahiti, 2014

- V.C.I.S, « He hamani pure me te ui i ùna he teào kiritiano », Valparaiso, 1843.

- Zewen, Père François, « Introduction à la langue des îles Marquises – Le Parler de Nuku Hiva – Hamani ha’avivini ‘i te ‘eo ‘enana », Haere Pō, Tahiti, 1987, 2014, 2016.

 

© Te Haè tuhuka èo ènana - Académie marquisienne - Oaoamanu/octobre 2022

 

   
   

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